Les gens

Album des membres – Jérôme Delforge

Jerôme nous fait découvrir un album plein d’humanité et nous invite à réfléchir sur notre rapport à l’image. 

Découvrons sa démarche et ses questionnements : 

 

Pourquoi un titre tel que celui-ci pour une série photographique ? “Les Gens”. En faisant un petit bilan de ce que j’avais produit en photographie, je me suis aperçu que je photographiais essentiellement des paysages, souvent sans présence humaine. Mais en y regardant de plus près, j’ai mis en lumière, au milieu d’un déroulé d’archives de photos que je revisitais, quelques dossiers réservés à mes contemporains. 

Je me suis replongé dans ces photos avec un certain détachement ou plutôt un certain recul, comme si je n’avais pas été l’auteur de ces clichés. Pendant ces instants, je me suis surpris à me regarder photographier tout en me demandant ce que ces photos pouvaient révéler de la personne qui les prenait. Dans la lignée de “connais-toi toi-même”.

Autrement dit, si je me dévoilais tout autant que je mettais en lumière mes contemporains, “ces fameux gens, ces fameuses gens” ? Une question à laquelle je n’ai pas réussi véritablement à répondre, ou peut-être, pas voulu répondre. Peut-être, après tout une question inutile. Ou sans doute ici la volonté de laisser une part de mystère dans le processus de créer des images grâce à un appareil photo. Ou là encore, mis brutalement devant la complexité de la réponse, voire même son inexistence et au final son peu d’importance, se retrouver à marcher à reculons. 

Cependant cette question resurgit étonnamment souvent en ce moment précis de ma pratique photographique. Les photographies sont-elles tant liées à leurs auteurs ou, dès qu’elles sont regardées par d’autres, exposées sur des murs, des sites internet, des réseaux sociaux, s’émancipent-elles de leurs créateurs pour venir renforcer ou augmenter ou bien encore bousculer, révéler l’identité, la personne, du “regardant” ?

Est-ce là un “don” de notre vision que nous faisons à l’autre ou au contraire un hameçon jeté pour appâter le spectateur et le compter parmi ses prises ? Ou les deux à la fois ? Michael Freeman disait : “la photographie vise moins pour le photographe à obtenir l’approbation de l’autre qu’à se satisfaire de l’idée qu’il se fait de ce qui mérite son attention“. Les photographes seraient-ils si narcissiques ? Ont-ils tant besoin de matérialiser au travers de leurs photos ce qui mérite leur attention ? Des millions de photos sont prises chaque jour ! En 2000 une estimation compte 80 milliards de photos prises durant l’année, (source Kodak, in “1001 photographies qu’il faut avoir vues dans sa vie” Cit. Paul Lowe). En 2017 on estime à 1 300 milliards ce nombre !!! Le téléphone de poche, surtout celui-là, défouraille à tout va. Depuis l’avènement du numérique, tout et rien méritent-ils notre attention ? Faisons-nous réellement attention à notre attention ? Et tout cela pour rester virtuel dans nos boîtes numériques ! Regardez le nombre de selfies, condensés de narcissisme, qui sont pris chaque jour ! J’ai toujours pensé que le selfie était une façon de tourner le dos au monde alors que prendre des photographies était une belle manière de lui faire face. Non pas dans un rapport de force : faire face, mais le regarder en face. Sans doute ma dernière traversée du désert en terme de pratique photographique m’a-t-elle amenée à m’interroger de la sorte ? 

Cependant, avant d’en terminer avec ces questionnements, il serait plus complet d’apporter ici une controverse plus ou moins définie ainsi : “La photographie est devenue le moyen le plus puissant pour se remémorer notre passé et pour représenter notre présent (selfis compris). Elle construit les fondations de notre mémoire collective, mais aussi celles de nos souvenirs personnels”, Cit. Paul Lowe in “1001 photographies qu’il faut avoir vues dans sa vie. Ed Flammarion”. Mais trêve d’incessants bavardages égocentriques et nombrilistes… selfiste ? 😉 J’avais envie de vous livrer, brut de décoffrage, un petit condensé de ce que j’avais réalisé autour des “gens” depuis quelques années. J’ai tenté de rendre à peu près cohérent cette série de 28 photos en leur donnant un ordre de visionnage (les photos sont numérotées de 01 à 28*) et cela tout en passant du coq à l’âne ; vaste programme. (Sachant, tout de même, que le coq et l’âne vivent tous deux dans la même ferme, les sujets ne sont donc pas si éloignés que cela). 

Du plusieurs ou seul(s), de l’heureux aux malheureux, de la cause aux causes, du curieux aux “photographieurs”, de l’amour à la fraternité, de la servitude volontaire à l’exclusion, du bonheur au malheur… et tout cela en 28 clichés. C’est très réducteur me direz-vous, à très juste titre par ailleurs. Toutefois, j’espère que ma série photographique possède par empilement une forme de vérité qui sera reconnaissable par tout un chacun. Mais je sais aussi que “le sens d’une photo pour un “spectateur” donné est [donc] difficile à prédire” Cit. Paul Lowe. Cependant je ne désespère pas, en souhaitant, espérant même

(sinon quid du langage photographique ?), que vous retrouviez les qualificatifs, précédemment cités, dans les quelques photos qui défileront sous vos yeux… et votre oeil 😉 

Je souhaite également que ces “photos comprimeront la distance entre le spectateur et la situation”. 

Ah oui, j’oubliais, la dernière photo est un coucher de soleil, et il n’y personne dans le cadre, pas de gens et en couleur s’il vous plaît, car à un moment donné, les gens finissent toujours par aller se coucher !

Jérôme Delforge
Vous devez vous connecter pour accéder à Joomeo

 

Pour parfaire : https://www.paullowe.org/

8 thoughts on “Les gens

  1. says:

    Touchée par ton regard sur les gens. Les gens c’est nous, c’est ce que j’ai ressenti. Tu n’es pas seulement derrière l’appareil, tu fais partie de la photo, même si tu n’apparais pas. Merci

  2. Marc Fourrier
    Marc Fourrier says:

    Un vrai plaisir à regarder, bien sûr de magnifiques N&B, et surtout ce plaisir d’être ensemble, faire de la musique, boire un coup, manger, manifester. Poésie des enfants qui courent dans les gouttes , les sœurs qui ont des envies, l’amour, la vie … mais aussi la solitude. Passage de la 24 à la 26 un peu hard non ? J’espère que le soleil couchant final (comme dans les westerns ?) une fois couché saura se lever au petit matin suivant avec force et vigueur.

  3. Joëlle Thomas
    Joëlle Thomas says:

    Très touchée par cette série chargée d’émotions.
    Ces photos ne se contentent pas de dire “voilà ce que j’ai vu..” mais “j’étais là, voilà ce que j’ai ressenti…”
    Merci pour ce partage.

  4. Pascal Martin
    Pascal Martin says:

    Les gens pourquoi les gens ? C’est en déroulant ce livre de photos humanistes que j’ai vu les gens, tes gens…Ceux que tu as mis dans la lumière et ceux que tu a mis dans les ombres, de si belles ombres pleines de lumières. Le temps d’un instant je me suis projeter au milieu des gens à la façon d’un reportage, en immersion. Clap clap clap.
    C’est pour quand la sortie du livre 📚😉

  5. Felix SEGALEN
    Felix SEGALEN says:

    J’aime beaucoup cette série car elle montre des personnages dans des activités et situations très différentes ,en naturel ; des situations que l’on vit tous les jours ou presque (sauf le mariage!).
    Le noir et blanc donne une bonne ambiance à cette série de photos!

  6. says:

    J’ai bien aimé les regards expressifs qui communiquent entre eux et certaines attitudes corporelles vues de côté, de dos, de face, qui n’ont pas besoin de mots….
    J’aime de plus en plus les photos en noir et blanc !
    Merci Jérôme pour ce partage !

  7. Catherine DALBERTO
    Catherine DALBERTO says:

    Cette belle série en dit beaucoup sur toi. Ton regard sur les “gens” me touche. Pas de voyeurisme, beaucoup de bienveillance, un regard sur notre société. Et puis beaucoup de nostalgie sur ce qu’était notre vie sociale avant la Covid. Merci Jérôme.

  8. Michel GARABEDIAN
    Michel GARABEDIAN says:

    J’aime bien cette série, car comme toi mais avec beaucoup moins de talent, j’aime photographier les gens; ce faisant, cela me permet de réduire cette distance inévitable existant entre des inconnus.
    Sur les 28 photos, 28 sont excellentes. Et pourtant je distingue une certaine retenue traduisant certainement une timidité retenue; en effet sur les 28 photos, 24 montrent des personnes vues de dos ou au milieu d’un décor. Mais c’est un bon début et pas de souci, bravo, tu es sur le bon chemin!

Laisser un commentaire